Lettre de Marcelino du 10 mars 1940

Soixante-quatrième lettre de Marcelino, écrite de Gorze, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.

Gorze, 10 mars 1940

Benigna, dans ta lettre du 8 tu m’assures que ceux qui sont agriculteurs on les envoie travailler la terre. Je te l’ai déjà dit dans ma précédente lettre qu’ ici ne s’en vont que les français qui ont 45 ans et plus, et que nul ne sait si on fera la même chose pour les espagnols. De sorte que nous attendrons ce que décideront les autorités. Tu sais que mon souhait est de nous réunir afin que je puisse vous nourrir.
Tu m’avertis, que si tu peux, tu iras où se trouve Sebastian. Renseigne-toi bien avant de te décider, car cela pose beaucoup de problèmes. Un : d’avance chercher un logement ; deux : placer les petits dans une école ; trois : emmener Juana avec toi etc…Evidemment, je ne crois pas que ce que tu demandes soit trop pour qu’on ne te l’accorde pas. Cela dit, en fin de compte, agis à ta guise. Toi tu sais quelles sont les démarches nécessaires et tu connais la région où vous êtes. Ici se sont les rumeurs qui nous renseignent sur ce qui se passe dans le monde. Si tu emmènes Juana avec toi tu seras à la tête des quatre qui, étant encore très jeunes ont besoin de ta vigilance et de ton soutien. C’est ainsi que moi je ferais.
Tu me demandes si nous terminerons bientôt le travail que nous faisons ; ma réponse est que, à cause du froid et des intempéries, nous avons dû arrêter le travail durant pas mal de temps. Cependant, si le gouvernement le voulait, tout serait solutionné. Tout le monde sait : « Tout va bien à point à qui sait attendre ».
Tu me dis que les enfants savent déjà monter à vélos et que tu crains qu’ils te fassent peur en apprenant qu’ils sont tombés. Ne soit pas si soucieuse. Le principal est qu’ils se développent, même avec des bosses sur la tête. Toi, continues à t’occuper d’eux le mieux que tu peux, en prenant les choses avec calme. Tout peut arriver, parce qu’il n’existe pas une chose qui n’ait pas des déboires. Mais, puisque rien n’est sûr, on ne doit pas être fataliste. Il faut vivre le présent avec calme. Tu me rends également heureux en me disant que les petits sont très contents d’aller à l’école. Mon souhait est qu’ils suivent ce chemin.
Cher fils Anastasio, je te suis reconnaissant pour la volonté que tu témoignes. Envoie-moi tes travaux scolaires et des dessins. Continue avec ton enthousiasme jour après jour, car, grâce à lui tu prépares ton avenir. L’enfant studieux sera, toujours récompensé un jour. En me rendant compte de ton penchant pour les études, j’ai la conviction que tu arriveras à devenir ce qu’on appelle « un homme » ; mais à la condition de ne pas oublier que tu n’y arriveras qu’à force de travailler. Sitôt que je le pourrai, moi aussi j’y mettrai du mien, tout autant que tu y mets du tien, pour développer tes dons. Ainsi j’agirai avec vous tous, le jour que je serai en votre compagnie, parce que vous le méritez.
Chers Daniel et Alicia. Je garde toujours un tas de baisers pour récompenser l’amour que vous avez envers l’école.
J’ai reçu une lettre de Sebastian et de Valero. Le n’ai aucune nouvelle de Juana. Je les attends.

Marcelino Sanz Mateo