Lettre de Marcelino du 1er août 1939

Vingt-neuvième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.

La condamine Chatelard, 1er août 1939

Dans ta lettre du 29 tu me parles de ces familles qui t’aident dans tout ce qu’elles peuvent. Bien que je ne puisse pas les remercier depuis la situation dans laquelle je me trouve, je pense pouvoir un jour les récompenser avec toute ma bonne volonté. Je ne demande pas les adresses de ces braves gens, ni ceux des maîtres de l’atelier où travaille Sebastian, car j’irai surement les voir bientôt et, mieux que de leur écrire, je pourrai leur parler en personne.
Le capitaine du camp nous a dit qu’il allait nous donner une permission de quatre jours pour que nous puissions voir nos familles, tant nous l’avons sollicité. Nous ne savons pas quel jour ce sera, mais nous pensons que cela ne prendra pas longtemps avant que nous nous embrassions.
Dimanche dernier, Juan et d’autres compagnons du campement, nous sommes allés faire une excursion dans les montagnes. Nous avons trouvé des endroits couverts d’un mètre de neige et nous avons traversé difficilement un tunnel couvert de glace*. Dans les hauteurs nous nous sommes réunis avec des compagnons qui travaillent dans d’autres compagnies**, dans les mêmes conditions que nous.
Tu me demandes si « le Valenciano » a écrit d’Espagne. Non, nous n’avons pas plus reçu de nouvelles, mais nous en aurons bientôt puisque les frères « Sulema » sont finalement partis en Espagne. Ils nous ont promis qu’ils nous écriraient dès qu’ils seront arrivés, pour nous dire ce qui se passe derrière les Pyrénées.
Mon cher fils Sébastian. Je suis satisfait de la peinture que tu me fais de ce pays, avec des prairies, sa terre noire, propice à la culture de légumes et ses troupeaux de bovins. Je peux noter que tu t‘es promené loin de la ville, et dans sa région, parce que dans une lettre, il n’y a pas longtemps, ta description du paysage était très différente. Comme tu me le dis, tu te débrouilles plus que bien dans l’atelier, ce qui est ma plus grande joie. Applique-toi cette connaissance pourra te servir un jour. Je te prie d’avoir la patience d’apprendre, jour après jour, obstinément.
Donnez mon bon souvenir à la « Cinta et à Rosa ».

Marcelino Sanz Mateo

*/le tunnel du col du Parpaillon
**/les autres CTE dans le même secteur : 10ème, 89ème, 92ème, 93ème, 95ème.