Lettre de Marcelino du 20 avril 1939

Sixième lettre de Marcelino écrite du camp de concentration d’Argelès sur mer.

Argelès sur mer, 20 avril 1939

Avant tout je vous adresse ma joie à voir la photographie de Sébastian. C’est déjà un homme et selon moi trop gros. Vous me dites que Juana est aussi assez grosse. Et bien moi aussi j’ai grossi et Juan peux vous dire la même chose. Nous pouvons être contents car le contraire serait mauvais. Il vaut mieux avoir de la graisse que des os. Je suis bien, j’ai bon appétit et je dors bien. Alors sur ce point ne vous inquiétez pas du tout, et pour ce qui touche aux événements prenez les avec calme. En y réfléchissant la vie est plus simple que nous le sommes. Vous craignez qu’ils nous envoient à la guerre. Restez tranquille car nous n’irons pas au front si nous ne voulons pas être volontaires.
De rumeurs assurent que bientôt ils nous sortiront de ce camp, mais personne ne sait quand. On murmure tant de choses que je ne veux plus les écouter ! On parle tellement pour ne rien dire que comme le dit si bien le dicton « a mauvaises paroles, oreilles sourdes ». Moi je sais seulement que ce jour attendu viendra.
Sébastian tu m’expliqueras pour quel motif tu as arrêté de travailler, et en conséquence, comment tu passes ton temps. A ton âge on ne peut rester sans rien faire. Pour le moins profites-en pour prendre des leçons d’arithmétique. Tu dois aussi essayer de faire ce que tu peux pour obtenir n’importe quel livre d’instruction générale en mécanique. Ces études te serviront beaucoup et plus tu apprends, mieux ce sera. Le savoir ne prend pas de place. Ecoute bien mes conseils, car tu as l’âge d’être un homme ou un paresseux.
Valero, au calcul ! Juana à l’écriture ! Anastasio, quand nous nous réunirons, après t’avoir donné un baiser, je te montrerai les dessins de mes inventions sur les machines agricoles. Comme j’ai assez de temps libre je passe le temps à dessiner. Alors toi aussi, au dessin.
A propos d’Antonio je t’ai dit que le « Calandino » t’informerait. Alors quand il écrira à sa femme, préviens-le du cas.

Marcelino Sanz Mateo

Un des dessins de la main de Marcelino.