Lettre de Marcelino du 24 décembre 1939

Cinquante-unième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses- Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine Chatelard, 24 décembre 1939

Dans votre lettre du 20, je vois que vous êtes en bonne santé et avez la résignation indispensable pour continuer à vivre. Très différente est la lettre qu’a reçue Juan. Il me l’a passée pourque je la lise et j’ai vu qu’à lui tu confies ton chagrin. Tu luis dis que tu ne supporteras pas de rester dans le « Refugio » jusqu’à la fin du mois. Réfléchis bien avant d’agir car les choses importantes, ou graves ne doivent pas se faire à la légère, ignorant que la nuit porte conseil. Sitôt après avoir lu ta lettre, Juan et moi-même avons décidé de vous aider avec tout ce que nous pourrons pour pallier vos besoins urgents. Pour commencer, nous vous envoyons deux colis, l’un avec des vêtements et l’autre avec de quoi manger. Juan pense qu’il pourra se fournir le manger à meilleur marché que vous. Il fera tout ce qui lui sera possible dans l’intendance du camp puisque la faim justifie les moyens. C’est moi qui paierai l’envoi des deux colis. Par conséquent vous n’avez pas raison de vous désespérer. Calme-toi afin de bien faire attention à ce que tu fais. Avec ce que l’on vous donne au « Refugio » et notre aide, il vous faut résister jusqu’en février, ou mars, mois pendant lesquels les champs demandent des bras et de la sueur. Alors Valero travaillera déjà et nous deux aurons résolu nos problèmes.
Tu me dis que lorsque viendra nous voir Maria, tu lui donneras pour nous 50 francs et deux chemises. En aucune façon ! Tu ne dois rien nous envoyer. A nous il ne manque ni le manger ni l’habillement. Nous avons trois chemisettes. Donc, celles que tu as, tu les gardes pour toi, car c’est toi qui en as besoin. Nous avons plus de vêtements qu’il ne faut pour combattre le froid. Je te répète encore : ne souffre pas pour moi. En plus de cela, on murmure qu’on va nous déplacer quelques kilomètres plus bas à cause de la neige. Mais, même si nous demeurons ici, ne t’inquiète pas parce que, je te le répète, nous sommes bien vêtus et bien chaussés.
Tu me dis que tu as demandé à Monsieur le commissaire si tu peux aller où travaille Sebastian. Ça aussi tu dois l’étudier attentivement puisque si ses patrons ne sont pas d’accord, tu ne peux pas t’imposer. C’est à ces derniers plus qu’au commissaire, que tu dois envoyer ta pétition, car c’est eux qui peuvent influencer les autorités compétentes. L’essentiel est d’assurer le travail de Sebastian et de Valero. Je suis convaincu que par manque de travail, on ne peut pas faire grand-chose. Si, dans l’immédiat, on n’augmente pas le salaire de Sebastian, je crains que vous ne puissiez-vous sustenter vous-mêmes. Bien que le peu vous semble beaucoup, tenez compte que la vie est très chère et que vous êtes nombreux pour manger et vous vêtir. Donc réfléchis bien avant de te jeter à la rue, car c’est avec raison qu’on dit, que celui qui monte haut avec crainte et maladresse, plus rapide et plus grave sera la chute.
Je suis très heureux d’apprendre que Madame « Teresa » désire me connaitre. Dis-lui que je tâcherai de m’acquitter de mes devoirs et qu’elle peut compter sur ma gratitude. Grande est mon obligation vue que, selon ce que tu me dis, nombreux sont les bienfaits que vous a fait cette bonne femme. Le jour où nous pourrons nous connaître n’est plus très loin. En attendant tu lui donne les remerciements et les saluts de celui qui embrasse ses mains.
Cher fils Valero. Je suis satisfait de tout ce que tu me dis. Merci pour le grand sacrifice que tu fais en allant chercher du bois dans la forêt afin que tes frères et ta mère n’aient pas froid. Tu me dis aussi, avec beaucoup de joie, que tu pourras aller déjeuner chez Madame « Teresa ». Je vois ton allégresse depuis ici. N’oublie pas de rendre ses bienfaits en l’aidant dans tout ce qu’elle te demandera. Démontre que tu as de l’éducation et tâche de ne pas être avide pour obtenir plus que ce qu’elle vous donne.
Vous ne pouvez pas imaginer la joie que vous me donnez, et comme je me sens comblé envoyant l’amélioration de votre écriture dans la lettre que je viens de recevoir. Continuez ainsi et vous parviendrez à être des hommes.
Et cela d’autant plus que tu me racontes que vous jouez « à l’école », les grands donnant des leçons aux petits. Ce fait est celui qui m’émotionne le plus. Je ne puis cacher la manifestation peut être exagérée de ma joie.
Cher fils Anastasio, je me sens heureux en apprenant que tous les jours tu prends des leçons. Ce que j’ai toujours désiré est que tu ne perdes pas ton plaisir pour les études.
Chère fille Juana. Je te félicite pour le plaisir que tu avais de m’envoyer tes vœux pour le jour de Noël. Comme ton père qui toujours veillera sur toi et tes frères, je te dis merci. Espérons que dans l’année qui vient nous pourrons célébrer les Pâques et la nativité tous ensemble et manifester nos vœux de paix et de bonheur pour le monde entier.
Chère fille Maria. A propos de ce que tu dis sur le projet que tu as de venir nous voir, j’étais déjà au courant de tout parce que Juan et moi nous nous voyons et nous disons ce qui se passe, ce que nous pensons et ce que nous rêvons. Je te conseille d’être patiente en attendant les papiers dont tu as besoin. Pense qu’ils t’arriveront. On sait que « tout vient à point à qui sait attendre » (les demandes officielles sont longues à parvenir). J’ai la certitude que tu sauras souffrir l’impatience qui te sera nécessaire dans l’attente de cet heureux jour.
Merci pour tes vœux.

Marcelino Sanz Mateo