Lettre de Marcelino – Retour dans le Gers à Mézin et à Lannepax (Septembre 2019)

Retour à Mézin ….

La commune de Mézin est située dans le Lot et Garonne (47) au Sud-Ouest d’’Agen, à la limite des départements du Gers et des Landes. En 1939, c’était un village d’environ 2500 habitants, un territoire agricole, mais aussi industriel, en particulier grâce à des usines de production de liège.

Localisation de Mézin

C’est le lieu de naissance d’Armand Fallières (1841-1931) qui fut Président de la République de 1906 à 1913.

La bastide de Mézin
Vue aérienne de Mézin – En rouge, « el refugio »

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C’est le 8 février 1939 que Benigna et ses 6 enfants arrivent par convoi en gare de Mézin, convoi composé de 56 réfugiés, principalement des femmes et des enfants. Ils y rejoignent des réfugiés arrivés en très petit nombre quelques jours auparavant.

Archives Départementales du Lot et Garonne (4M293)

Nous avons toutes les fiches de ces réfugiés .

Fiche n°8 : Formento Bénigna, épouse Sanz (AD 47 – 4M293)

Benigna et ses enfants sont logés à la pension Rizzi Rocco, ou hôtel de la poste, avec vingt-six autres réfugiés.

Fiche Rizzi-Rocco (AD 47 – 4M293)

Les autres hébergeurs sont : M. Cassagnobères 7 / M. Begue 6 / Fernand Deufileu 4 / Gaston St Marc 4 / Alexandre Latrobe 10 / Antoine Talière 7.

« El Refugio » autrefois (années 30)
« El Refugio » aujourd’hui

« El réfugio » est aujourd’hui un immeuble collectif locatif. La petite maison de droite, c’est l’octroi qui donne sur rue du collège (adresse qui figure sur une enveloppe écrite le 28 mai 1940 de Novéant en Moselle).

Lettre de Marcelino du 28 mai 1940

Ensuite, en 1941, la famille va déménager dans l’ancienne usine de bouchons, toujours à Mézin

L’usine de bouchons

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Une personne va beaucoup aider la famille de Marcelino, c’est Madame Engracia, que Marcelino va remercier personnellement dans deux lettres, une du 15 juin 1939 et une du 17 février 1940.

Lettre de Marcelino du 15 juin 1939
Lettre de Marcelino du 17 février 1940

Que sait-on d’elle ? C’est en cherchant dans la presse que je tombe par le plus grand des hasards sur cet article de la Dépêche du Midi, qui apporte plein de renseignements.

Article du journal La Dépêche du Midi du 12 mars 2018

C’est peut-être là que Maria, la fille ainée de Benigna et Marcelino, a travaillé ?

La pâtisserie Rue Gambetta existe toujours

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Pendant quelques mois les enfants de Benigna vont aller à l’école de Mézin.

L’école de Mézin

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Sébastian va travailler quelques mois dans un atelier de mécanique jusqu’à la déclaration de guerre de 1939, date à laquelle son « contrat » est rompu.

L’atelier de mécanique selon plusieurs témoignages (à vérifier)

Ensuite, il va travailler dans différentes exploitations agricoles avec Valéro et Juana dans des villages autour de Mézin, pour différents travaux, dont les vendanges.

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En photos ci-dessous quelques pages d’un document d’une plainte déposée à la gendarmerie de Mézin contre Mr Clostres qui a tendance à exploiter les réfugiés Espagnols : Marcelino parle de l’exploitation des Espagnols dans une de ses lettres.

Le village de Lannes est situé l’Est de Mézin, et le château de Bégué évoqué dans le rapport de gendarmerie, se trouve sur la route entre Mézin et Lannes.

Plainte
Transcription de la plainte :

« Ce jourd’hui six octobre, mil neuf cent trente-neuf à seize heures.

Nous soussignés Pellefigue Sylvain et Brunel Marius gendarmes à pied en la résidence de Mézin, département du Lot-et-Garonne, revêtus de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs :

En tournée et agissant en vertu d’une demande d’enquête de Monsieur le Préfet du Lot-et-Garonne en date du 28 septembre 1939 (transmission n° 8749 / 3ème section du 2/10 1939), avons recueillis les déclarations suivantes :

1er Monsieur Clostres, Camille, 53 ans, propriétaire à « Bégué », commune de Lannes (Lot et Garonne), né à Moutard (Allier), le 2 décembre 1884, fils de Feues Jean et de Boule Jeanne, marié sans enfants, de nationalité française : « J’ai bien eu un différend avec des ouvriers réfugiés Espagnols le jour du repiquage sur ma propriété de Bégué, mais je n’ai jamais demandé qu’une enquête soit faite, et n’ai aucune déclaration à faire à ce sujet.

Toutefois, je dois dire que j’ai envoyé un mandat de 98 francs à Mr le Préfet à Agen pour le paiement du travail effectué par les réfugiés. Ce dernier m’a renvoyé ce mandat en me disant que cette affaire ne le concernait pas et que le diffèrent étant né entre un patron et ses ouvriers relevait du droit commun ».

Lecture faite persiste et signe.

2ème Monsieur Chaumet Jean, 53 ans, major de police à Mézin (Lot et Garonne), né le 23 août 1886 à Marmande, même département, fils de feu Antoine et Brunet Marie, marié, 3 enfants, ex chef de brigade de gendarmerie, médaillé militaire, déclare : « Je suis fort étonné de la lettre de Mr le Préfet du Lot-et-Garonne relative aux incidents qui se sont produits à Lannes, entre le réfugiés Espagnols et Mr Clostres, et surtout de la plainte que ce dernier a dû porter contre moi, attendu que Mr le Préfet relate dans sa demande d’enquête que j’ai menacé et insulté grossièrement Mr Clostres en pleine rue. Voici exactement les faits :

Le samedi 9 septembre 1939, Mr Clostres qui ne trouvait personne dans la région de Lannes, pour dépiquer sa récolte de blé, a téléphoné à Mr Duplan Maire de Mézin, en lui demandant s’il n’y aurait pas moyen d’avoir des réfugiés Espagnols de Mézin.

Monsieur Duplan m’a aussitôt appelé en qualité de régisseur comptable au service des réfugiés Espagnols, afin que je m’occupe de cette affaire.

J’ai prié Mr Clostres de passer le lendemain, afin de nous mettre d’accord quant au nombre de réfugiés qu’il aurait besoin et surtout en vue du paiement, car ce « Monsieur » qui avait occupé deux ouvriers réfugiés au mois de juillet avec un contrat régulier, avait au moment du départ et après avoir rompu illégalement le contrat, refusé de leur payer entièrement leur dû.

Monsieur Clostres est donc venu le dimanche 10 et m’a demandé 16 hommes pour le lendemain. Après entente avec Melle Feytis directrice de l’hôpital auxiliaire, il a été convenu qu’il pourrait compter sur les 16 réfugiés. Le prix étant de 14 francs et nourris. Mr Clostres m’a remis à l’avance 224 francs. Le lundi matin ces 16 réfugiés sont partis à 5h45, heure légale pour Lannes « château de Bégué », domaine de Mr Clostres. La machine à dépiquer n’étant pas arrivée ce jour-là, ces hommes sont revenus à Mézin, à 10 heures, sans qu’il leur ait été offert un morceau de pain pour le petit déjeuner.

Mr Clostres m’a demandé le même jour de les envoyer le lendemain. Les mêmes hommes sont repartis à 5h30, le mardi et revenus le soir à 21h30. Dans la journée j’ai rencontré Mr Clostres à Mézin qui m’a dit « je ne compte pas terminer le dépiquetage aujourd’hui, pouvez vous me laisser les réfugiés pour demain mercredi. Je ne vous paye pas leur journée à l’avance car je ne sais pas si je terminerai à midi ou après ». Ma réponse a été ceci. Vous me paierez lorsque le travail sera terminé. Mr Clostres a ajouté « je suis très content du travail de ces hommes ». Je ne sais ce qui s’est passé dans la journée du mercredi, mais m’étant levé à 5h45, les réfugiés étaient déjà partis pour Bégué. Le soir à 20h45, ils sont tous venus à mon domicile, protester contre Mr Clostres, qui avait voulu à 19h30, après 12 heures de travail assidu, qu’ils terminent le soir même le dépiquetage dont il aurait fallu environ 3 heures environ, ce dont ils ont refusé, mais se sont offert d’y recourir le lendemain. Sur ces faits, Mr Clostres a refusé de leur payer leur journée et les a renvoyés sans manger. Ces hommes ont dû à leur arrivée à l’hospice demander de quoi diner à la directrice.

Le lendemain, ayant rencontré Mr Clostres en face de mon domicile, je lui ai demandé les motifs de cet incident. Cet homme m’a répondu « vous pouvez garder vos Espagnols, ce sont tous des anarchistes, et vous les soutenez ». Sur ces paroles, je lui ai répondu, je ne rentre pas dans les détails, ce que je constate c’est que vous les avez fait travailler, et que vous devez les payer. Sur son refus formel, je lui ai dit « vous parlez d’anarchistes, regardez-vous un peu. Vous rappelez-vous du 15 mai 1938 ». Cet homme s’est alors mis à m’insulter à tel point que je lui ai pris le bras pour le conduire à la gendarmerie où je me suis rendu. Pendant ce temps Mr Clostres est parti en voiture dans la direction de Lannes.

Depuis 7 mois que je suis régisseur comptable « du service des réfugiés Espagnols, je n’ai jamais eu d’incident avec aucune personne, sauf Mr Clostres. J’ai signalé deux fois son attitude au sujet de sa résiliation des contrats à la Préfecture, 3ème division, et encore dernièrement, j’ai fait à la suite du dépiquage chez ce Monsieur un rapport circonstancié à Mr le Préfet, 3ème division, également. Sur ce rapport je demandais qu’il soit fait justice à ces pauvres réfugiés en forçant Mr Clostres à payer ce qu’il leur devait. Aucune réponse ne m’est parvenue à ce sujet.

Je puis affirmer que Récatala Joseph, n’a jamais donné lieu à Mézin, à aucune critique et que si Mr Clostres, lui en veut, c’est qu’il est allé à maintes reprises lui demander le produit de 5 journées qu’il ne lui avait pas payé. Lorsqu’il l’a renvoyé après avoir rompu son contrat.

Je demande à ce que ces réfugiés perçoivent ce qui leur est dû et qu’à ce sujet, Mr Clostres soit mis dans l’obligation d’en verser le montant entre mes mains où chez Mademoiselle Feytis, directrice de l’hôpital hospices des réfugiés ».

Lecture faite, persiste et signe.

3ème Madame Drouillet Armande, née Boyer, 59 ans, ménagère à Lancôme commune de Lannes, Lot-et-Garonne, déclare : « le jour du dépiquetage chez Mr Clostres à Bégué, je me trouvais chez lui pour faire la cuisine. Dans le courant de l’après-midi, j’ai entendu dire qu’il s’était produit un incident entre Mr Clostres et des ouvriers réfugiés Espagnols qui étaient à son service pour dépiquer, mais j’ignore complètement pour quel motif. Comme je vous l’ai déjà dit, j’étais occupée à faire la cuisine, et de ce fait, je n’ai pas assisté à la discussion. Je puis toutefois vous dire que le soir aucun réfugié n’a mangé chez Mr Clostres. C’est tous les renseignements que je puis vous donner ».

Lecture faite, persiste et signe.

4ème Monsieur Malliac Albert, 63 ans, adjoint au Maire de la commune de Lannes, Lot-et-Garonne déclare : « je sais que Monsieur Clostres avait demandé des réfugiés Espagnols à Mézin pour pouvoir procéder au dépiquetage de sa récolte sur sa propriété de Bégué, cela parce qu’il n’avait trouvé personne dans la commune de Lannes.

J’ai entendu dire également qu’il avait eu un différent avec ces ouvriers réfugiés au cours de la deuxième journée de dépiquage, mais j’ignore pour quel motif.

Comme ce n’est pas la première fois que Mr Clostres a des différents avec son personnel, je ne suis nullement surpris de cette discussion. Depuis deux ans environ que Mr Clostres habite ma commune, je puis certifier qu’il a eu des histoires avec tout le personnel qu’il a employé, et notamment au sujet du paiement. D’après la rumeur publique, c’est un homme de moralité douteuse, d’un caractère sournois, solitaire et ne fréquentant personne.

D’autre part, il me serait difficile de donner de bons renseignements sur son compte, vu que le jour de la visite de Monsieur le Président de la République à Mézin, il a été gardé à vu par vos soins à la brigade de gendarmerie de Mézin.

Quant aux réfugiés Espagnols, je n’ai pas entendu dire qu’ils se soient livrés à des actes hostiles à l’égard de Mr Clostres.

Lecture faite, persiste et signe.

Les réfugiés Espagnols ayant assuré le dépiquage chez Mr Clostres, sont actuellement tous absents de Mézin et se trouvent répartis dans diverses localités du Gers pour effectuer les travaux aux vendanges.

Deux expéditions destinées : la première avec demande d’enquête à Monsieur le Préfet du Lot-et-Garonne à Agen ; la deuxième aux archives.

Fait et clos à Mézin les jours, mois et an que d’autre part.

Signatures : Brunel et Pellefigue« 

Château de Bégué à Lannes

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Lettre de dénonciation :

Lettre de dénonciation au Préfet du Lot-et-Garonne écrite le 10 mai 1939 de Poudenas (village au Sud-Ouest, séparé de Mézin par la rivière la Gélise) par un certain Camet Robert, journalier agricole.

Lettre de dénonciation

Retour au hameau du Laca à Lannepax

En octobre 1939, Sébastian va se retrouver dans la commune de Lannepax, et plus précisément au hameau du Laca, pour y faire les vendanges (voir lettres de Marcelino d’octobre 39). Le propriétaire est Monsieur Desbarats conseiller municipal à Lannepax.

Marcelino écrit à ce Monsieur le 17 février 1940.

Lettre de Marcelino à M. Desbarbats du 17 février 1940

Le hameau du Laca est traversé par une petite route. Il se compose de deux habitations, une au Nord d’aspect bourgeois et une au sud. C’est là que Sébastian et Valéro vont travailler, rejoints à partir de 1942 par Benigna et le reste des enfants. Ils vont y rester jusqu’à la fin de la guerre.

J’ai trouvé dans l’annuaire le nom de Desbarats dans le village de Lannepax au lieu-dit Lestancille. Je suis allé frapper à sa porte, et ce Monsieur Desbarats (88 ans), qui est un cousin du Desbarats du Laca, m’a expliqué que le domaine avait été vendu dans les années 60 et qu’il ne restait plus de descendants des Desbarats du Laca. Il se rappelle avoir vu lors de ses vacances, une famille d’Espagnols avec de nombreux enfants au Laca.

Le Laca en 1945 (IGN)
Le Laca en 2018 (Géoportail)
Maison bourgeoise, côté Nord du chemin
Ferme du Laca aujourdhui 1
Ferme du Laca aujourd’hui 2
Famille Sanz en mai 1940

Malgré toutes mes recherches, je n’ai pas retrouvé l’escalier où a été prise cette photo en mai 1940.

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Sources :

Anastasio et Alban Sanz.

Archives Départementales du Lot et Garonne à Agen : (4 M 287 / 289 / 290 / 291 / 298 / 312).

Archives Départementales du Gers à Auch : (4 M 207. 1 W 272 / 265 / 278).

Mairie de Mézin (comptes-rendus des conseils municipaux de 1938 à 1945.

Daniele Ducoussau, secrétaire à la Mairie de Mézin.

Quelques anciens du village de Mézin m’ont confirmé les différents lieux de vies et de travail de nos réfugiés.

Monsieur Desbarats du hameau de Lestancille à côté du village de Lannepax, m’a parlé longuement de son cousin qui était le propriétaire du hameau du Laca où ont séjourné Benigna et ses enfants de 1942 à la fin de la guerre.

La Dépêche du Midi.

Patrick Claude association au pied du mur de Mallefougasse et Montlaux (septembre 2019).